Une veille continue pour se tenir en vigilance

Sur le temps long, l’observation de l’évolution des territoires et des modes de vie aux différentes échelles permet de déceler les grandes tendances à l’œuvre dans l’aire grenobloise. Depuis un demi-siècle, cette connaissance fine capitalisée par l’Agence aide les élus à construire les politiques publiques. Sur le temps court, l’observation est mobilisée pour identifier les géographies et les territoires les plus vulnérables aux aléas et aux crises qui surviennent sans prévenir.

L'interview croisée d'Emmanuel Boulanger et de Françoise Pichavant de l'Agence
Le regard de Sophie Robert, Cheffe du Service observation, documentation, évaluation du Département de l’Isère

L’observation est une mission historique de l’Agence. Pourquoi est-elle fondamentale ?

Françoise Pichavant : Pour aider les élus dans l’élaboration de leurs politiques, nous avons besoin d’objectiver l’analyse du territoire, identifier ses atouts et ses fragilités, comprendre sa trajectoire. Quand les modes de vie sont en perpétuelle évolution et de plus en plus fragmentés, ce regard « scientifique » fondé sur l’observation est indispensable pour appréhender le fonctionnement des territoires. À l’Agence, notre système d’information territorial nous permet de décrire l’aire grenobloise à différentes échelles et sous de multiples facettes, d’en suivre l’évolution et d’établir des comparaisons avec la dynamique d’autres territoires. Pour enrichir cette approche quantitative, nos diagnostics sont souvent complétés par des analyses qualitatives afin de mieux comprendre les pratiques et les usages, les perceptions et les ressentis... Elles permettent par exemple d’observer les réactions des individus dans un contexte précis ou face à une situation.

Emmanuel Boulanger : L’observation a pleinement sa place pour aider au dialogue entre collectivités territoriales en produisant des représentations partagées des fonctionnements territoriaux sur de grands espaces. Elle permet d’appréhender les logiques de périurbanisation ou de ségrégation résidentielle dans un bassin d’habitat élargi, de pointer les atouts et les déséquilibres d’une zone d’emploi répartie sur plusieurs périmètres intercommunaux. Mettant en lumière les flux et les interdépendances entre territoires, elle s’avère nécessaire pour élaborer les stratégies de territoires aux échelles intercommunales ou à celle du SCoT, et pour favoriser la gouvernance interterritoriale

En quoi est-ce si important de disposer de données et analyses sur le temps long, aujourd’hui plus que jamais ?

Françoise Pichavant : Spontanément l’individu est dans le court terme et il va penser son futur à partir de ce qu’il vit au quotidien. Observer les éléments sur le long terme est par conséquent extrêmement important. La connaissance du passé est utile pour identifier les caractéristiques structurelles de l’aire grenobloise, anticiper les évolutions et apprécier ses fragilités. Par exemple, la crise économique de 2008 avait mis en lumière une forme de dépendance aux décisions externes du fait de la forte présence internationale. Notre connaissance du tissu économique local et des secteurs d’activité les plus impactés par la crise de la Covid 19 nous permet d’identifier les territoires nécessitant une vigilance particulière.

Emmanuel Boulanger : L’observation permet de repérer les cycles et les basculements, en articulant des phénomènes conjoncturels et des tendances structurelles. Nous suivons tout ce qui a trait au niveau de vie et à l’évolution de la situation économique et du marché immobilier dans les territoires : revenu des ménages, emploi, parcours résidentiel...

Une grande tendance est le maintien au long cours des inégalités sociales et territoriales, même si les différentes crises leurs donnent une acuité parti-culière. La décennie 2000 combinant le coût élevé du pétrole et la hausse de l’immobilier a mis en exergue l’exode périurbain des classes moyennes et la précarité énergétique. La crise sanitaire récente a souligné les fortes inégalités face à la santé, au logement, et a mis en relief les questions de scolarité et d’accès au numérique. L’emprise omniprésente du numérique est d’ailleurs une autre tendance lourde, qui révolutionne de manière exponentielle les modes de vie et de travail, les mentalités... et dont on mesure encore mal les nouveaux vecteurs de précarité.

Françoise Pichavant : Cette révolution renforce le rôle de l’observation car l’information circule au point qu’on parle d’ « infobésité » ! Notre rôle en tant qu’Agence est important pour aider à trouver la bonne information car celle-ci n’est plus hiérarchisée. Aujourd’hui nous avons besoin d’objectiver le numérique en relation avec notre métier et en observant les impacts aussi bien dans la vie quotidienne des gens, leur manière de travailler, que dans les politiques publiques.

Comment l’Agence s’adapte-t-elle aux nouveaux outils ?

Françoise Pichavant : Nous adaptons en continu l’outil informatique pour faciliter la gestion des données, approfondir l’analyse statistique et cartographique, afin de partager efficacement nos ressources avec nos partenaires. Nous sommes toujours en veille sur les innovations techniques ou méthodologiques que nous adaptons avec nos moyens, en nous impliquant dans les réseaux locaux comme l’OBS’y, les universités, et les réseaux nationaux de spécialistes de l’observation comme la Fnau et l’Insee... L’Agence a par exemple engagé en 2019 une démarche exploratoire pour exploiter de nouvelles sources d’informations à partir de plateformes numériques sur les déplacements, les loisirs ou encore le tourisme. Elle anime des ateliers d’étudiants sur des sujets émergents et elle renouvelle ses méthodes de travail, en particulier sur l’observation « sensible ».

Emmanuel Boulanger : Un dispositif d’observation qualitative originale est par exemple mis en place sur les Villeneuve de Grenoble et d’Échirolles, pour suivre l’évolution du ressenti des habitants par rapport au projet de rénovation urbaine d’ampleur qui va se réaliser ces dix prochaines années. Deux cohortes de quarante habitants seront interrogées chaque année par des sociologues pour appréhender l’impact des actions sur leur qualité de vie. L’Agence analysera ces évolutions au long cours.

Françoise Pichavant : Nous développons aussi l’outil « toile des acteurs » qui consiste à repérer tous les acteurs d’une thématique en les catégorisant selon leur mission. La toile des acteurs du développement économique vient d’être achevée : elle identifie ceux qui financent des projets, qui réalisent des études, qui font du marketing... Sont en cours la toile des acteurs de l’énergie, celle de la biodiversité, de l’habitat. Ces outils nous permettront localement de mieux comprendre les interactions. Nous avons d’ailleurs réalisé la toile des acteurs de l’observation, accessible sur le site Internet de l’Agence. Sur un champ aussi vaste, il est important de savoir qui fait quoi.

LE REGARD DE... Sophie Robert, Cheffe du Service observation, documentation, évaluation du Département de l’Isère

Quelles sont les attentes du Département en matière d’observation ?

L’Agence nous accompagne de longue date sur les dispositifs d’observation au sein du Département : l’Observatoire des déplacements, le Plan départemental de l’habitat, l’Observatoire foncier partenarial de l’Isère. Nous faisons aussi appel à elle pour réaliser certaines études ponctuelles, par manque de temps ou de technicité, par exemple celle sur la fragmentation socio-spatiale ou, en 2019, l’étude sur la caractérisation des villes moyennes de l’Isère. Pour nous, la plus-value de l’Agence tient au fait de sa continuité dans l’accompagnement, dans son aide à l’analyse, sa capacité à faire parler les données dans une approche pluridisciplinaire. Son troisième rôle, qui est aussi pérenne, est l’accompagnement de l’Observatoire du Département de l’Isère. Nous travaillons en commun, l’Agence nous aidant dans l’approche prospective et nous permettant d’enrichir certains diagnostics par des apports méthodologiques annualisés. Cette dynamique partenariale dure depuis longtemps. Enfin, nous sommes attentifs aux productions de l’Agence. Ses diagnostics territoriaux, à l’image de ses cartographies dynamiques, constituent une matière de base et font partie de nos outils premiers.

Avez-vous une attente de renouvellement ?

L’Agence se renouvelle dans ses approches, sur la manière de traiter les données et de répondre chaque année à nos demandes. S’il y a une attente pour l’avenir, mais nous n’en sommes qu’aux prémices de la ré-flexion, c’est celle d’un appui pour nous aider à développer un pôle de prospective. Enfin, nous devons travailler avec l’Agence pour optimiser la diffusion des études et de tout le travail qu’elle produit pour porter davantage cette matière très riche dans les territoires. C’est déjà le cas : la philosophie de l’observation est d’être vraiment au service de l’action, des politiques publiques, avec des outils qui aident encore au plus près la décision.

Juin 2020